J’ai lu le livre d’Éric Duhaime pour vous... de rien
Dans La fin de l’homosexualité et le dernier gay, l’animateur Éric Duhaime fait son coming out médiatique. «Ben oui, je suis GAY! Pis après?», lance-t-il d’emblée.
La table était mise. Pendant une centaine de pages, il vous expliquera ensuite comment son homosexualité lui a servi tout au long de sa vie, tant «professionnellement que personnellement», écorchant au passage le «lobby gai» qui n’aurait, à ses yeux, plus sa raison d’être en 2017.
L’essai, son quatrième en carrière, paraîtra mercredi. Mais ce n'est pas la peine de lire, je l’ai fait à votre place.
Voici d’ailleurs ce que je retiens de La fin de l’homosexualité et le dernier gay.
Éric Duhaime décrit ce quatrième essai comme étant son plus personnel. «Personnel» est ici un euphémisme. Tout ce que fait l'auteur, c’est pas mal de se regarder le nombril. «En tout cas, en ce qui me concerne, mon homosexualité ne m’a pas posé de problème.» OK, Éric.
Assez tôt dans la lecture, il vous décrira d’ailleurs, jusque dans les moindres détails, le massage érotique reçu d’un certain Hicham alors qu’il habitait au Maroc et l’éjaculation (dans ses shorts moulants) qui s’en est suivie.
«Il m’a proposé de me masser pour soulager mes muscles endoloris. Petite précision: sous nos shorts moulants de coureurs, nous étions tous deux en érection, et c’était visible. Avant de commencer le massage, il est allé dans ma chambre chercher un drap pour me l’étendre sur tout le corps. Il a effectué ensuite le massage le plus érotique et le plus sensuel que j’ai jamais reçu de ma vie. Je ne sais même pas quelle partie de son corps il a utilisée pour me procurer une telle sensation de bien-être. Je crois bien que nous avons tous deux éjaculé... sans jamais nous toucher directement, peau contre peau.»
D’ailleurs, jamais Éric n’a-t-il «connu autant de sensualité avec les hommes» que lorsqu’il habitait au Maroc. «Se peut-il que lorsqu’il considère la femme inférieure, l’homme se tourne spontanément vers son semblable pour développer une relation intime, profonde et pleinement satisfaisante?» Ça se peut mon Éric, ça se peut. C'est une saprée bonne théorie en tout cas!
D’ailleurs, quand il habitait dans le monde arabe, le bon Éric était «perçu comme un très grand féministe». Mais ça, c’est un détail.
Moi-je-moi
Cette anecdote marocaine était la première d’une longue série d’anecdotes et d’expériences personnelles. Parce que pour Duhaime, la réalité des gais et des lesbiennes au Québec se limite essentiellement à ses propres expériences: je vis bien avec mon homosexualité, je ne suis pas victime de discrimination, je gagne bien ma vie, ma famille m’accepte comme je suis, alors tout est beau dans le meilleur des mondes au pays de l’homosexualité. D'ailleurs, il n'étoffe pratiquement jamais ses propos avec des preuves. Après tout, vérifier des faits, c'est tellement 2015.
Et Dieu qu'il en avance des choses.
Pour Éric Duhaime, par exemple, la communauté gaie a gagné tous ses combats. L’égalité a été atteinte, partout, et l’homophobie, elle, enrayée (à part quelques écervelés homophobes dispersés ici et là). «Il faut avoir la maturité de l’avouer, et célébrer. Rangeons drapeaux arc-en-ciel et pancartes à triangles roses. Sortons champagne et gâteau pour fêter notre différence effacée.»
L'auteur a raison de souligner (et de célébrer) la grande ouverture dont fait preuve la vaste majorité des Québécois. Bien sûr que le Québec est une société extrêmement ouverte où les gais sont mieux traités que partout ailleurs au monde. Est-ce à dire que le combat est terminé et que l’homophobie a disparu? Peut-on en douter, lorsqu'on sait notamment que les jeunes gais, lesbiennes et bisexuels rapportent trois fois plus de tentatives de suicide, selon Gai Écoute et la Chaire de recherche sur l’homophobie de l’UQAM?
Résister à l’envie
Dans son livre, l’animateur de radio raconte avoir longtemps résisté à l’envie de sortir publiquement du placard (il l’a fait lundi, à l’âge de 47 ans). Il ne veut surtout pas (et c’est son droit) devenir un activiste, «le prochain Dany Turcotte, Daniel Pinard ou Jasmin Roy, encore moins un Michel Girouard des temps modernes.»
Un puissant «lobby» qui a soutiré à l’État québécois, tenez-vous bien, une somme faramineuse de... 5,4 millions $ sur quinze ans. On parle ici de groupes de défense des droits des LGBTQ et de groupes de soutien actifs, notamment auprès des adolescents en détresse.
Un peu plus de 5 millions $ donc, tout palier de gouvernement confondu (municipal, provincial et fédéral), en 15 ans. Ça équivaut à environ 360 000 $ annuellement. Il y a un peu plus d'un an, le gouvernement du Québec a injecté 1 milliard $ dans Bombardier... mais ça, c'est un tout autre débat.
Pour Éric Duhaime, les Jasmin Roy de ce monde appartiennent «à une autre époque». Il ne se reconnaît d’ailleurs pas dans ce «lobby gai» et dans les causes qu’il défend. «On ne m’a pourtant jamais demandé ce que je pense du mariage gay, des toilettes pour trans ou de l’adoption chez les conjoints de même sexe. Au nom de qui parlent ces gens? Qui a élu ces porte-paroles? Pourquoi le gouvernement leur verse-t-il des subventions?»
D'ailleurs, son souvenir sucré en terre marocaine ne l'empêche pas de digresser vers un tout autre débat à l'avant-dernier chapitre du livre: l'islam radical qui menace sa vie tranquille de dernier gai.
Duhaime accuse effectivement le «lobby gai» de ne pas s’attarder suffisamment à la principale menace qui pèse sur la communauté LGBTQ, le «jeune voisin musulman en train d’être radicalisé à la mosquée du coin». Dans les prochains mois, il souhaite communiquer avec des imams québécois afin de sensibiliser la communauté musulmane québécoise à l’importance du respect des gais et lesbiennes. Mais il n'est pas un activiste.
Vive les hommes !
S’il ne veut pas devenir un porte-étendard de la cause homosexuelle, il veut encore moins tomber dans le piège de la «victimisation» qui a été mise de l’avant par le méchant et ô! combien puissant «lobby gai».
Victime, Éric Duhaime? Au contraire.
«Je remercie souvent le ciel de préférer les hommes aux femmes. Mes amis hétéros me jalousent même aussi à l’occasion.» Le monsieur est effectivement bien content d’être aux hommes... parce qu’un homme, c’est tellement moins compliqué qu’une femme: pas d’enfants à sa charge conçus «à droite et à gauche», pas de pensions, pas «de procès interminables lorsque je romps avec l’être aimé», etc.
Misère.
Ah pis, le plus beau dans le fait de coucher avec des hommes: au diable le consentement!
«Je n’ai pas non plus à faire attention lorsque je drague, à ne pas franchir la “limite”, à m’assurer qu’il y a explicitement consentement de la part de l’objet de mes pulsions (...) Des fois, ça marche. D’autres fois, ça ne marche pas. Mais, contrairement aux straights, j’ai pratiquement zéro risque de me retrouver avec des allégations de harcèlement ou d’agression sexuelle.»
Parlant de consentement sexuel... le féminisme, cet «anachronisme de l’histoire», qu’ossa donne?
À l’image de la communauté gaie, les femmes auraient gagné le combat de l’égalité. Pourtant, les «féministes n’ont jamais été aussi bruyantes, engagées et revanchardes. Plutôt que de célébrer leur grande victoire, les féministes les plus radicales veulent désormais intensifier la “bataille”». Est-ce qu’on peut passer à autre chose, mesdames?
D’ailleurs, comme le féminisme, l’homosexualité est, aux yeux du polémiste-animateur, un concept dépassé.
«Dans ce nouveau Québec, nos paradigmes du passé ne sont plus nécessairement valides. Dans une société affranchie de l’emprise de la religion, où chaque citoyen a retrouvé sa liberté sexuelle et peut explorer les différentes facettes de sa sexualité, l’homosexualité est possiblement un concept aussi non pertinent que celui de la race dans une société totalement métissée.»
Non seulement la majorité des gars avec qui il a couché «se définissent comme hétérosexuels» (hum?), mais les filles peuvent maintenant se frencher entre elles autant qu’elles le veulent dans les bars sur Grande Allée.
L'homosexualité est dépassée
Pour Éric Duhaime, il est donc essentiel de s’affranchir du concept d’homosexualité pour enfin «tourner la page sur un siècle et demi d’utilisation de ce qualificatif pour nous exclure, nous marginaliser et nous soigner».
L’auteur espère d’ailleurs être le dernier gars «obligé» d’écrire qu’il est gai, parce qu’alors «que tout a été écrit sur mes préférences sexuelles et sur la possibilité de vivre sans aucune forme de discrimination, pour moi, il n’y a plus d’homosexualité. C’est fini.»
Alors suivant cette logique, en tant qu'avant-dernier gai, je me définis comment maintenant?
Compliqué tout ça...